Du sommet d’un phare

La mer était calme ce jour-là. Du moins, les gens se plaisaient à le répéter. Quand à Neige, elle s’en fichait pas mal. Malgré le bleu de ses prunelles qui vibrait au rythme des remous, l’enfant tournait le dos à celle qui l’appelait, le regard perdu en direction du restant de l’ile.
Quels mystères pouvait bien receler ces terres qu’elle découvrait ? Cette ville en forme de croix qu’elle percevait non loin résumait-elle son intérêt ? Ou y trouverait-elle d’innombrables trésors au-delà des monts qui lui bouchaient la vue ? Éprise de curiosité, Neige élargit son sourire et tendit ses mains vers l’horizon. Puis, la barrière au sommet du phare lui rappela le vide qui l’accueillerait si elle s’y laissait prendre.
Perdant l’équilibre, la gamine se rattrapa de ses deux bras autour du métal chauffé par le soleil. Elle resta ainsi deux bonnes secondes, le temps d’être certaine que le sol ne s’effondrait pas sous ses pieds. Puis elle partit à rire, haut et fort, ignorant ceux qui, en bas, la jugeaient de leur perplexité.

L’enfant était arrivée par la mer il y a peu. Sa tenue de baigneuse rose en portait les marques ! Le reste de ses vêtements séchaient encore, étendus sur la rambarde à côté d’elle. Ses cheveux ondulaient de façon désordonnée, mais elle ne s’en inquiétait pas, se contentant de repousser les mèches qui lui bouchaient la vue de temps à autre.
Sitôt qu’elle avait rejoint la terre ferme, la gamine s’était empressée de grimper au sommet de ce phare. Du haut de son perchoir, elle cherchait où se rendre. En ville ? C’était toujours amusant. Et puis, chaparder un peu de nourriture lui ferait le plus grand bien. Mais d’un côté, à quoi bon venir jusqu’ici pour agir par habitude ? Alors qu’en était-il de cette montagne ? Que cachait-elle ?

Les mains accrochées aux barreaux, Neige se laissait tanguer d’avant en arrière tout en réfléchissant, comme incapable de tenir en place. Ses yeux plissés trahissaient son intense réflexion. Bien trop intense ! À croire qu’elle jouait sa vie sur ce choix ! Il faut dire qu’elle avait dû ruser pour échapper à la vigilance de son père, donc autant que cette journée en vaille la peine ! Peut-être même qu’elle pourrait ramener quelque chose qui ferait plaisir au Nyx ? Comme ça, elle éviterait même les réprimandes ! Un trésor ! Rien n’est mieux qu’un trésor !
Finalement, la gamine claqua ses mains l’une contre l’autre et s’exclama :

— Allez ! On va tout droit !

Suivant ses dires, sa main pointa la montagne, puis elle bondit d’excitation à l’idée de partir en exploration.

Neige sursauta à l’entente d’une voix aussi soudaine qu’énergique. Peu attentive, elle n’avait pas entendu la nouvelle venue glisser du toit. Ses yeux clignèrent à répétition, hypnotisés par cette apparition spontanée. Pourtant, personne n’avait pu grimper les marches du phare jusqu’ici sans qu’elle l’ait remarqué ! L’aurait-elle ratée en montant ? Impossible ! Enfin, si, possible… En revanche, elle n’en viendrait pas à cette conclusion quand d’autres, bien plus captivantes, s’immisçaient dans son esprit.
Le temps qu’elle se remette du choc, l’intruse la harcela de questions dont Neige peina à retenir la moitié, bien trop focalisée sur sa provenance. Finalement, lorsqu’elle trouva le temps d’en placer une, la gamine prit une profonde inspiration… avant de hurler à son tour, aussi fort que possible :

— OUIIIIII ! TU PEUX VENIR !!!!

Puis, ce fut l’avalanche. La pile électrique bondissait sur place en remuant les bras de haut en bas tout en déversant son flot continue d’aberrations :

— Comme ça on s’amusera toute la journée comme deux grandes personnes dont une qui peut même se téléporter n’importe où ! Hein, pas vrai que tu te téléportes ? T’étais pas là avant, et t’es pas montée par les escalier, donc tu te téléportes ! Fais voir, fais voir, fais voir !

Le calme revint, tandis que l’enfant posait son index sur sa bouche, l’air subitement pensive. Avait-elle répondu à tout ce que l’autre réclamait ? Vu sa tête, si cette étrangère se considérait comme une grande personne, alors Neige le pouvait tout autant ! Cela laissait la majorité des questions de côté. Ah ! Si ! Il en est une qui lui revenait, tandis qu’elle remuait la tête de haut en bas, l’air satisfaite :

— Et je m’appelle Neige !...

Ah ! Et celle-là également :

— Et t’es petite aussi !

Moins qu’elle, mais quand même ! La plus jeune fit un clin d’œil avant de tirer la langue à son aînée, plus amusée qu’agacée par cette remarque qui revenait jour après jour. Quand on mesure et qu’on agit comme un marmot de cinq ans, cela n’a rien d’étonnant !
Voilà, cette fois, elle avait le compte ! Ou pas ? Oh, peu importait… Tout ce qu’elle voulait, c’était évidemment voir cette inconnue se téléporter ! Et attention : ça avait intérêt à être impressionnant ! Qui oserait décevoir une enfant dont les yeux brillaient de mille feux à l’idée de voir quelque chose d’extraordinaire ? Les poings serrés à hauteur de ses joues, Neige attendait, aussi excitée qu’au-devant du plus gros des cadeaux emballés. Nul doute qu’elle envisageait d’en profiter à son tour !
Après-tout, quel meilleur moyen de visiter la totalité de cette île inconnue en un temps record ?
Comment ? Voler ? Mais non, ça, ce serait trop classique ! Aucun intérêt !

HS:

"Le machin blanc" ? Pas très joyeux comme appellation ! Malgré cela, Neige acquiesça de multiples hochements de tête.
Puis vint l’idée du froid ! Les yeux perdus dans l’incompréhension, la gamine pencha la tête sur le côté tandis que l’autre s’approchait pour vérifier sa supposition. Sa main déclencha le rire de l’enfant.

— Ben oui, je suis normale ! Sinon j’aurais déjà fondu !

Quelle évidence ! Elle n’était pas un vrai flocon de neige, non plus ! Bref, le malentendu éclairci, Neige en revint à son intérêt principal : la téléportation ! N’ayant rien perdu de son enthousiasme, elle se persuada que l’autre s’apprêtait à lui faire une démonstration en retournant vers la rambarde !
Et là, ce fut le drame. Alaïa – c’était son nom, apparemment ! – clama qu’elle n’avait fait que voler. Pire encore, cela la rendait fière ! À tel point qu’elle proposa de monnayer une simple démonstration ! La gamine déchantait. Elle fit la moue, sans répondre, puis s’approcha à son tour pour se placer à côté de son aînée. Les mains sur la rembarde, elle se pencha légèrement pour regarder dans le dos de celle qui bombait le torse.

— Ben, elles sont où tes ailes ? ça sert à quoi de voler si t’as pas deux grandes ailes qui font "swouf swouf" quand t’es en l’air !

C’est vrai, quoi ! Elle aurait deviné tout de suite la vérité si l’autre était apparue pourvue de deux magnifiques parures de plumes blanches balayant l’air dans son dos. Ça lui aurait évité de faux espoirs !

Lorsque la dernière proposition vint, Neige ne sembla guère s’y intéresser. Non pas qu’elle ait un grand intérêt à jouer la grande personne, mais en insistant, l’autre attisait sa mesquinerie. Et puis… elle n’allait pas manquer une telle occasion de retourner une situation ! En toute logique, puisqu’elle ignorait superbement la dernière phrase d’Alaïa, cette dernière resterait au sol le restant de la journée pour priver la plus jeune de spectacle aérien. Pas bête, la Pichu !

— Allez, on va tout droit ? s’exclama la punie en toute innocence, comme si elle n’avait rien omis.

Elle aurait pu montrer l’exemple… mais non ! Neige préféra prendre le temps de récupérer ses vêtements étendus avant de fixer sa partenaire, l’air de dire "après-vous", sans jamais la perdre du regard. Une unique question lui torturait l’esprit : Alaïa descendrait-elle par les escaliers, ou céderait-elle à un quelconque besoin de s’envoler par la fenêtre ?
En attendant, Neige se rhabilla en toute quiétude, camouflant son maillot de bain derrière un curieux costume de licorne à la corne bleue et au capuchon rouge. D’où venait ce déguisement déjà ? Neige ne s’en souvenait même plus. Sans doute l’avait-elle piqué lors d’une de ses excursions ! Elle n’avait même pas la moindre idée du Pokémon que cela représentait. D’ailleurs, elle ignorait jusqu’au nom de Keldeo. Cependant, les couleurs lui plaisaient… elle n’avait pas cherché plus loin !

— D’accord ! annonça Neige en toute innocence.
Pas contrariante, la gamine ! Qu’importe que l’autre soit en train de la réprimander, elle avait répondu comme s’il avait s’agit d’une simple demande. Elle ne se plaindrait pas. Et elle ne la verrait jamais voler. Voilà, voilà ! Pas plus dérangée que ça, Neige laissa couler tout en gardant dans un coin de sa tête le souvenir de ces paroles. Son amusement du jour était clair : forcer Alaia à s’envoler d’une façon ou d’une autre !

En parlant de ça, la première tentative fut un échec. Sa camarade la vit venir et décida d’emprunter l’escalier ! Amusée par la supposition qu’elle ne serait jamais passée par-là sans ce désaccord, Neige acquiesça avec enthousiasme. La journée promettait d’être intéressante ! Mais avant qu’elle n’ait entamé un pas pour suivre sa copine du jour, cette dernière lui agrippa la manche pour l’entrainer de force dans leurs prochaines aventures. Neige échappa une exclamation de surprise puis se laissa entraîner en riant. Les yeux rivés sur le sol, elle dévalait les marches deux à deux pour suivre le rythme de son amie, plus instable qu’un Spinda sur une corde. Cependant, miracle ou non, elle parvint à garder son équilibre tandis qu’Alaia la questionnait sur son costume.
Neige releva la tête, un doigt posé de son menton au coin de sa bouche en signe d’une intense réflexion. Elle avait beau chercher, pas moyen de se remémorer ce détail ! L’avait-elle chourré aux habitants de Mele-mele ? Ou lui avait-on offert ? Pas question d’affirmer qu’elle ignorait sa provenance ! Seule certitude, elle l’avait depuis un moment.
La gamine s’accrocha à d’autres connaissances en quête d’une illumination, en vain. Le seul cheval dont elle avait entendu parler se nommait Ponyta et venait d’une autre région. Hélas, il n’avait ni le bleu de son costume, ni crinière rousse de son capuchon. Quoi que, cette fourrure représentait peut-être du feu ? Et s’il s’agissait de son évolution ? Qu’importe que ce soit faux, cela suffirait !
— C’est un Chevauta ! ça vient de Kanto ! s’exclama la gamine d’une voix emplie de certitudes.
Les poneys deviennent des chevaux. Et donc les Ponyta, des Chevauta ! C’était pourtant évident !
Tandis qu’elle parlait, profitant du bref silence d’Alaia, Neige eut la surprise de sentir cette dernière s’arrêter. Déstabilisée, la gamine tenta de se rattraper pour éviter l’impact tout en écoutant la nouvelle question. En équilibre sur la pointe d’un seul pied, elle penchait d’avant en arrière, toujours déséquilibrée par le fait d’être tenue par la manche.
L’autre répétait sa question. Enfin presque ! Pour Neige, c’était du pareil au même. Chaque jour, elle jouait à devenir ce que son costume lui imposait. Feignant l’évidence, la gamine répondit en levant les bras, échappant par la même occasion à l’emprise de son aînée :
— Beh, je t’ai dis ! Un Chevau…
Son visage s’écrasa contre le dos d’Alaia, ce qui lui cloua le bec. L’instant d'après, le reste de son corps s’empêtrait contre les jambes de son amie, puis elle achevait de débouler les escaliers en un roulé-boulé pitoyable.

Lorsque Neige rouvrit les yeux, la première chose qu’elle vit fut le ciel aussi bleu que resplendissant. Elle avait roulé jusqu’en bas du phare. Sa tête n’avait rien, bien protégée par la capuche de son costume rembourré. Elle pouvait aussi remercier l’appendice dorsale touffue du canasson pour lui avoir servie de coussin d’atterrissage. Par contre, ses bras et ses jambes réclamaient une pause pour constater les dégâts, si bien qu’elle n’osa pas se relever.
— …Ta… acheva-t-elle instinctivement, encore sous le choc.
L’idée de renvoyer la question germa dans sa tête, rapidement balayée par d’autres préoccupations plus urgentes. Elle entrouvrit la bouche, une question à la bouche, lorsqu’une brise marine vint lui chatouiller les narines.
— A… Tchoumaïe !
Son buste se redressa d’un geste, entrainé par son éternuement, et révéla les picotements de son corps endoloris. Elle n’avait rien de cassé, seulement mal un peu partout. Une larme perla au creux de ses paupières. Non ! Elle ne devait pas pleurer ! Ce genre de choses lui arrivaient à chaque fois, elle y était habituée ! Bon, sa maladresse ne finissait pas toujours en dévallage d’escaliers, mais ses jambes en avaient vu d’autres. Il ne lui restait qu’une solution pour pallier à ses larmes naissances.
L’enfant se rallongea dans l’herbe verte qui avait accueillie sa chute en bas du phare, puis se laissa aller au rire. Un rire nerveux et maladroit, entrecoupé de grimaces. Voilà, ce n’était pas si grave ! Tant qu’elle pouvait rire, c’était qu’elle n’avait rien ! Il lui fallut un temps pour retrouver son calme et finalement murmurer le seul mot qui s’imposait à elle :
— Alaia ?

Spoiler:

Ouf ! Alors que Neige commençait à se demander si Alaia ne l’avait pas suivie dans sa dangereuse chute, le visage de son amie réapparu rapidement dans son champ de vision. Au final, plus de peur que de mal pour toutes les deux !
Neige afficha une mine radieuse en retrouvant la bonne humeur de son amie. C’était quand même mieux que la réaction habituelle que les adultes lui offraient après chacune de ses chutes. Toujours à paniquer pour rien, ceux-là !

Bref, les questions reprirent rapidement. À croire qu’Alaia fut en manque, durant ce court labs de temps chutesque ! D’ailleurs, elle ne perdit pas de vue l’important de cette journée. Pas plus que Neige ! En entendant l’autre se vanter d’avoir évité tout problème en volant, la gamine plissa des yeux un instant, le temps de réfléchir à une réplique adaptée. Hélas, lorsque vint le moment pour elle de répondre, elle n’avait rien trouvé de mieux qu’exprimer sa frustration à haute voix, elle préféra donc faire comme si de rien était et répondre avec enthousiasme, le poing levé en direction des cieux :

— Ben moi, j’ai utilisé mes super pouvoirs de Chevauta ! Grâce à ça, j'ai fait des super roulades qui rebondissent, comme les cailloux quand on les lance !

Ce n’était pas si faux, elle pouvait vraiment remercier son costume pour s'en être sortie vivante !
Neige s’agrippa à la manche de son amie pour se redresser, douloureusement. C’est à ce moment qu’enfin, après une intense et interminable réflexion focalisée sur sa frustration de n’avoir pu voir son amie voler, Neige trouva enfin une solution. LA solution !

— Même que grâce à ça, j’ai eu tout plein de temps pour te voir avant d’atterrir en bas !

Elle tira la langue de satisfaction, ravie de pouvoir faire la fière suite à son mensonge. Avec un peu de chance, l’autre la croirait et s’envolerait de frustration, transformant aussitôt le mensonge en réalité !
Quoi qu’il en soit, Neige comptait bien laisser sa partenaire de jeu dans le flou de son mensonge et enchaîner en l’entraînant dans une autre histoire. Mais si, vous savez, cette histoire de "tout droit" ! C’était le moment de mettre en application leur dernière décision ! Vite, avant que l'autre n'ait le temps d'y penser plus longuement !

Ni une, ni deux, Neige – qui tenait toujours la manche d’Alaia – se mit en route vers tout droit, tirant sa camarade avec elle. Hélas, elle n’eut que l’occasion de faire un pas avant de sentir une violente douleur la foudroyer de son talon jusqu’à hauteur de son buste.

— Aie !

Cette fois, elle ne lâcha pas son amie, et s’appuya même de tout son poids sur elle pour ne pas perdre l’équilibre.
Oups, il semblerait que Neige ait sous-estimé ses blessures. Du moins, celle de sa jambe gauche.

— Je… ma jambe veut plus marcher…

Un reniflement discret. Un simple clignement d’yeux embués. Les marques de la douleur apparaissaient peu à peu sur son visage enfantin. Elle avait beau se retenir de crier aux larmes, la petite sentait cette situation lui échapper. Elle mourrait d’envie de pleurer. Vraiment. Pourtant, elle ne souffrait pas tant que ça ! Juste une violente piqure, chaque fois qu’elle posait son pied au sol. Qu’elle reste sur une jambe, et tout irait bien ! Ainsi pensait-elle. Et pourtant, les larmes lui montaient aux yeux, de plus en plus insistantes.