Once fame is chasing you ∆ Ayden

Aujourd'hui, le temps laissait clairement à désirer. Le soleil ne paraissait que par intermittence, pointant le bout de son nez entre deux nuages grisonnants. Il avait plu un peu plus tôt ; les pavés sombres de Féli-Cité luisaient doucement et marquaient sous les pas des passants… Beaucoup d'enfants s'amusaient de ce phénomène, sautant à pieds joints d'une dalle à l'autre et admirant les traces qu'ils laissaient derrière eux.
Certaines personnes avaient gardé leurs parapluies déployés, dans l'attente d'une autre averse ; seuls quelques hybrides, souvent aux teintes bleutées, semblaient apprécier la météo : les choses n'avaient jamais beaucoup changé : les Pokémon de type eau aimaient toujours autant les temps humides !

Oliver, quant à lui, se contentait de maugréer dans sa barbe. Il s'était lavé les cheveux le matin-même, et cette pluie boueuse venait de ruiner tous ses efforts. À présent, ses mèches bouclaient dans tous les sens et donnaient l'impression qu'il ne s'était pas coiffé depuis plus d'un mois.
Il passa une main rageuse dans sa tignasse ébène pour essayer de lui redonner un semblant de tenue, en vain. Féli-Cité ne lui réussissait pas, décidément ! Il y revenait les week-ends pour voir ses amis et surtout pour occuper son appartement vide en semaine. Le reste du temps, il était à Joliberges, avec ses parents. Ce retour aux sources lui faisait beaucoup de bien, même si le manque de travail commençait à sérieusement l'inquiéter.
L'air marin, les petites plages autour de la ville, les bateaux qui sonnaient leur corne de brume lui avaient beaucoup manqué ; c'était comme un renaissance, et aussi un moyen de panser ses plaies. Féli-Cité, au contraire, commençait à franchement le lasser. L'agitation des habitants, le stress ambiant… Il rejetait tout cela d'un bloc alors que quelques années plus tôt la vie citadine l'avait tout simplement charmé.
Le temps passait, ses états d'âme changeaient petit à petit. Il aspirait désormais à un cadre de vie plus sain, plus calme, entrecoupé de périodes endiablées à petite dose.

De grands écrans étaient accrochés sur la façade de certains gratte-ciels et diffusaient des publicités pour du maquillage, des parfums, de nouvelles séries télévisées… Oliver ne pouvait empêcher son regard de s'y fixer ; des têtes connues apparaissaient en grand : des mannequins célèbres, des acteurs aussi… 
L'hybride redoutait de se retrouver nez à nez avec la figure d'Ariel, qui sourirait alors comme une véritable star, avec des dents bien blanches, ses yeux brillants. Il serait magnifique sur ce grand écran… Absolument magnifique. Et il briserait son cœur une fois de plus.
Il avait choisi la gloire plutôt que son couple. Ce n'était pas une chose facile à accepter, bien au contraire… Le Zarbi l'avait particulièrement mal vécu. Il ne pourrait jamais comprendre un tel choix. Jamais de toute sa vie. Et dès lors, la célébrité avait pour lui une odeur nauséabonde, quelque chose de morbide, de périlleux.
Il était bien heureux d'être un citoyen lambda. Bien heureux de ne pas avoir une horde de fan à ses trousses. Bien heureux de pouvoir vivre sa vie comme il l'entendait.
Et il se souvenait parfois de ce cocktail auquel il avait été poliment convié aux côtés de son ex-petit-ami qui débutait dans le métier. L'espace de quelques heures, il avait été entouré des plus grandes stars de Sinnoh ; c'était tout bonnement impressionnant… Il s'était d'abord senti si misérable, si petit. Et puis en progressant dans cette immense salle des fêtes, certaines choses lui avaient sauté aux yeux : comme cette ambiance d'hypocrisie ambiante, cette tension qui résidait entre de nombreuses personnalités… Elles étaient toutes en compétitions. Toutes voulaient décrocher ce prochain rôle, toutes n'auraient pas hésité à marcher sur l'autre pour réussir. Ariel adorait cette atmosphère étincelante, artificielle ; il adorait ces faux sourires, ces félicitations biaisées… Et il jouait d'ailleurs très bien dans cet échec géant.

Aucune de ces stars n'avait tenu cas de ce pauvre Zarbi, perdu au beau milieu des étoiles. Aucune… Ou presque. Seulement l'une d'entre elles s'était gentiment intéressée à lui. Cet acteur savait très bien sourire quand on le lui demandait. D'ailleurs il souriait tout le temps. Mais Oliver n'avait senti aucun vice chez lui. Seulement de la pure sympathie et curiosité. C'était devenu un collègue de son petit-ami, quelqu'un qu'il côtoyait sur certains tournages… C'était aussi une grande célébrité dans la région, sans doute une des plus connues… 
Et pourtant le Zarbi ne se souvenait plus de son nom. Seulement de son personnage : un pirate fougueux qui colonisait tous les samedi soir la chaîne nationale. Il était le héros d'une série qui durait maintenant depuis plusieurs années et qui était sans doute la plus visionnée de Sinnoh.

Cette rencontre, petit éclat de lumière parmi tant d'ombres, avait donné bon espoir au garçon, à l'époque. Il s'était dit qu'Ariel resterait sans doute aussi avenant et aussi sympathique…
Oliver eut un petit sourire alors qu'il s'engageait dans une nouvelle rue : il s'était bien trompé. Le Motisma avait très vite pris la grosse tête et n'avait pas hésité à tout plaquer pour devenir le meilleur, le plus convoité.
Quelle idée.

Il y avait étonnamment beaucoup de monde dans cette rue. Oliver ne savait pas vraiment où aller. Sans doute dans un café où, avec un bon chocolat chaud, il se lancerait dans un long et fastidieux travail de décryptage de quelques ruines… Bon. Il en était à la moitié. Cela ne lui prendrait plus qu'un petit mois pour tout finir. Enfin… S'il s'y mettait au moins cinq heures tous les jours.
Il tapota doucement son sac à dos : un bloc note et un vieil album qui regroupait des photos de lieux sacrés. Le mur auquel il s'intéressait était en braille et contenait également une partie en zarbi. Les informations qu'il révélait étaient intéressantes et parlaient des habitudes des Hommes au moins quatre-cent ans plus tôt. Le garçon avait vérifié : personne n'avait traduit ce bout de roche originaire de Johto.
Ou du moins il n'avait trouvé aucun compte rendu. Il serait le premier à publier ses recherches.

Arrivé à la hauteur d'un hôtel assez chic, il entendit des cris et exclamations qui le tirèrent de ses pensées. Le ciel s'assombrissait de plus en plus et plongeait la ville dans une obscurité étrange, accentuée par l'ombre des immeubles. La pluie recommença à tomber.
L'hybride s'abrita contre les façades des bâtiments qu'il longea jusqu'à rejoindre l'origine de tout ce remue-ménage. Des flashs d'appareil photo, des caméras, des micros mais aussi des curieux qui créaient une petite foule mouvante et particulièrement bruyante.
Des journalistes lançaient des questions de leurs voix fortes et grinçantes :

"Monsieur Lorentz ! Monsieur Lorentz ! Que pensez-vous des dernières photos publiées dans PokéPeople ?

– Pouvez-vous nous dire qui est l'élue de votre cœur ? Est-ce une mannequin ?

– Comment réagissez-vous à cette recrudescence de paparazzis ?"

Cette étreinte humaine, ce piège à loup se refermait sur le pauvre interviewé qu'Oliver tenta de voir, de dévisager, en vain. Il était pourtant grand ; sa tête dépassait. Seulement, les portables brandis pour prendre des photos, les carnets destinés à un autographe cachaient sa figure.
Un groupe de jeunes filles se ruait déjà vers lui, hystériques. Certaines pleuraient littéralement de joie :

"Ayden ! Ayden ! S'il-te-plaît, on peut faire un selfi ?"

Ayden Lorentz… Ayden ?! Oliver se mordit la lèvre inférieure : c'était l'acteur qui l'avait pris sous son aile au cours de cette fameuse soirée !
Tout d'un coup, rejoindre un café devenait pressant : il n'avait absolument pas envie de se retrouver nez à nez avec cette célébrité… Leur rencontre était liée à une période qu'il tenait à oublier : ce n'était pas le moment.
Et puis, il ne voulait se retrouver sous les flashs des journalistes !
Aussi accéléra-t-il le pas dans un élan de paranoïa, pensant qu'il ne serait pas remarqué…

Le café se rapprochait à grands pas. La pression qui pesait sur les épaules d'Oliver sembla s'alléger un instant ; il était sorti d'affaire ! Plus que quelques mètres… Plus qu'une porte à ouvrir et hop ! Sauvé !
Il eut un instant honte de son comportement, qui, soyons franc, pouvait paraître franchement malpoli. Bon. Le Zarbi pouvait facilement se l'expliquer : se retrouver face à un souvenir de son histoire avec Ariel ne lui disait pas grand chose. Vraiment rien même. C'était une peur panique qui l'avait pris à la gorge… Le besoin de fuir avait été plus fort que lui ; ses jambes s'étaient agitées toutes seules, courant presque sur les pavés de Féli-Cité. Et puis il s'était mis à pleuvoir dru, ce qui n'avait vraiment rien arrangé.
Parfois le brun se disait qu'il ferait mieux d'aller voir un psychologue pour régler ce genre de petits… Problèmes. Pour arrêter de ressasser, de revoir le visage de son ami d'enfance dans ses rêves… Peut-être ce genre de médecin l'aiderait-il à guérir ses plaies, à guérir ce cœur qui avait tant souffert ces derniers mois et où résidaient désormais des restes d'amour brisé et de mépris grandissant. C'était en tous cas ce que lui aurait conseillé sa mère si elle était au courant de sa petite histoire… Mais ce n'était pas le cas.
Oliver laissa échapper un long soupir désespéré : ce n'était pas le cas, et cette vérité le minait aussi… Mentir, toujours mentir à ses parents était un exercice difficile, surtout qu'il était d'une nature plutôt honnête. Mais avec eux, il n'y arrivait pas. Quelque chose le bloquait, et il ne comprenait pas vraiment quoi. La peur qu'ils réagissent mal certainement, qu'ils le rejettent ou qu'ils le regardent d'un œil différent.
Peut-être valait-il mieux qu'il attende que le chagrin passe, que l'amour revienne frapper à sa porte ? Alors seulement il songerait sérieusement à leur en parler.
L'hybride haussa les épaules comme pour se convaincre lui-même que tout cela importait peu, après tout. C'était mignon comme tentative d'auto-persuasion. Oliver était passé maître en la matière, et depuis sa rupture tout ce qui touchait de près ou de loin à ses affaires de cœur était toujours détourné par son cerveau, qui cherchait à faire taire des sentiments trop éclatants ou à atténuer certains remords trop pesants.

Perdu dans ses pensées, il ne s'était pas rendu compte de l'évolution du fiasco qu'il avait laissé derrière lui. Deux hommes, toujours suivis par une troupe d'adolescentes et de journalistes l'avaient déjà dépassé, courant presque sous la pluie. Ils tentaient sans doute de semer tout ce beau monde… Mais c'était un leurre.
Seules les dernières paroles d'Ayden étaient parvenues à ses oreilles : visiblement, il n'avait pas envie d'être embêté un jour de repos. Un petit sourire compatissant avait sans le vouloir pris place sur le visage du garçon : comme il le comprenait ! Mais quand on voulait être tranquille, on ne devenait pas acteur, n'est-ce pas ? Il ne comprenait pas toutes ces stars qui se plaignaient de leurs fans ; dans la vie, il fallait faire les bons choix… Les faire consciencieusement en pesant les pour et les contre. C'était aussi simple que ça. Tout le monde se doutait qu'en devenant une personnalité publique, on n'était jamais vraiment tranquille… non ?
Le Zarbi songea un instant à ce qu'aurait été sa vie aux côtés d'Ariel, devenant lui aussi un comédien renommé. Les paparazzis à leurs trousses, le scandale lorsque tous ses fans auraient appris son homosexualité, les lettres de menaces qu'ils auraient reçues de la part des groupies les plus extrémistes… Et toute leur intimité exposée dans les médias. Quelle horreur !
Et au vu de ce qu'il avait cru comprendre, toute cette avalanche tombait en ce moment même sur les épaules du pauvre pirate qui tentait tant bien que mal de s'extirper des griffes des interviewers… À une différence près – et Oliver n'était pas étonné – : Ayden était avec une femme. Et Arceus savait à quel point l'élue de son cœur était chanceuse, l'acteur étant particulièrement gâté par la nature.

Oliver prit une profonde inspiration : tout cela était déjà très loin de lui, tout au bout de la rue, poursuivi par un véritable petit cortège ! Il pouvait se rassurer, ce n'était pas un acteur en déroute qui allait lui tomber dessus auj–

"Oliver ?"

Le Zarbi fut pris d'une frayeur sans pareille, sursautant violemment pour se retrouver nez à nez avec un jeune homme, particulièrement grand, affublé de lunettes de soleil d'un noir si profond qu'il ne put discerner ses yeux. Mais pas besoin de voir son visage en entier pour le reconnaître : sa petite opération fuite express était visiblement un véritable échec.
Merde… J'y avais cru. pensa le brun en affichant un grand sourire, faisant mine d'avoir une soudaine illumination :

– O-Oh ! Ayden… Ça faisait longtemps !

Le rouge éclaboussa un peu ses pommettes : si le comédien qu'il avait en face de lui était un excellent acteur, ce n'était pas du tout – mais alors pas du tout – son cas. Et il savait qu'autant son sourire que sa voix sonnaient très faux. La honte serra sa gorge et il eut un peu de mal à déglutir. Quel idiot il faisait !
Pourtant, Ayden ne sembla pas remarquer son mauvais jeu d'acteur, trop occupé à fuir une bonne fois pour toute le danger qui le guettait encore :

– Wah, excuse moi, on peut rentrer dans ce café fissa s'il te plait ?

Pas le temps de répondre, il fut entraîné contre son bon vouloir dans le pub vers lequel il se dirigeait seul quelques secondes plus tôt. Il ne résista pas ; quand on était petit, il fallait savoir se plier aux exigences des plus grands… Surtout qu'Ayden n'hésitait pas à le guider de son bras gauche, comme un berger l'aurait fait de son bâton avec ses moutons.
Le Zarbi se sentit un peu misérable et franchement pris au piège. Il s'engouffra à contre-cœur à l'intérieur du café où la luminosité, plus jaune, lui donna l'impression d'entrer dans un tout autre univers.
Il passa une main dans ses cheveux humides, les recoiffant vainement, et laissa échapper un petit soupir courroucé, le regard sombre. Heureusement que la température était plus agréable par ici ! Ça le réconfortait un peu… Par contre, bye bye les bonnes heures de travail !
L'acteur, quant à lui, observait à travers la vitre le bon déroulement des évènements à l'extérieur, semblant profondément rassuré, ce qui fit tout de même sourire le brun amusé par ce spectacle comique qu'il lui offrait :

"Ouf.. Désolé. C'est toujours comme ça.  

– Je me doute, lâcha Oliver sur un ton un peu désabusé. Oui, il s'en doutait même très bien. Trop bien. Il se souvenait de ce soir où deux jeunes femmes s'étaient ruées sur Ariel pour lui demander un autographe. Pas trop rageant d'être pris en tenaille entre journalistes et groupies hystériques ?

Ses mots étaient amers, acerbes ; et il ne chercha pas une seule seconde à les adoucir. Faire semblant de caresser le comédien dans le sens du poil ne ferait que le ridiculiser : face à un acteur professionnel, il ne valait mieux pas qu'il s'amuse à jouer au menteur.

– Pour tout te dire, je ne m'attendais vraiment pas à tomber sur toi… Mais vu que le hasard a fait les choses comme ça, autant ne pas le contrarier. Ça va comment depuis la dernière fois ? Les affaires marchent toujours…?

Oliver redressa son sac sur son épaule, grimaçant un peu ; il s'était levé avec un mal de cou particulièrement tenace ; décidément ce n'était pas sa journée.

– Je t'avoue ne pas suivre l'actualité de ta série… Mais bon, je vois que les fans sont toujours aussi nombreux."

Un serveur se dirigeait déjà vers eux, sans doute désireux de leur trouver un endroit où ils pourraient s'asseoir… Et discuter plus amplement.
Oliver lui lança un petit sourire embêté avant de reporter de nouveau son attention sur Ayden. Décidément, il était toujours aussi agréable à regarder. Bah quoi ?! Il avait quand même le droit d'apprécier le physique des hommes qui l'entouraient, non ? Au moins, ça l'occupait. Sa carrure imposante, toute de muscles réveillait toujours un petit quelque chose chez lui. Et cette mâchoire carrée, fine, ses lèvres bien dessinées… Vraiment un plaisir ; une véritable réussite. Le pire était que malgré ses longs cheveux mauves et soyeux, cette délicatesse qu'il dégageait, le comédien respirait la force et la virilité.
Un bel homme, vraiment.
Le Zarbi se râcla la gorge, ayant bien conscience du fossé qu'il y avait entre eux mais décidant de parfaitement l'ignorer pour se donner un semblant de contenance :

"J'imagine qu'on prend une table ? Il marqua une pause, décidant d'être un peu plus aimable. Au fond, Ayden n'avait rien à voir avec sa rupture. Ce n'était pas de sa faute si Ariel était un sacré crétin – pour rester un tant soit peu poli –. Je te paye un café, si tu veux. Ou autre chose, ça m'est égal."

Oliver suivit docilement le serveur qui les menait à une petite table au fond du café, un peu plus isolée des autres. Il devina sans grande difficulté que l'employé avait reconnu son grand compagnon derrière ses lunettes de soleil ; en même temps, ce n'était pas difficile : Ayden avait un physique bien à lui. Un physique d'Apollon qui ne passait pas inaperçu. Et malgré la promesse qu'il s'était fait de ne pas se laisser impressionner, le Zarbi avait l'impression d'être un vilain Crapustule s'offrant la compagnie d'un Lackmécygne. Autrement dit, il se sentait tout bonnement ridicule.
Et ce sentiment qui le prenait peu à peu aux tripes et le soumettait à une gêne terrible qui prenait peu à peu le pas sur sa mauvaise humeur lui rappelait ses dernières semaines passées avec Ariel, quoi qu'il fasse pour en détourner ses pensées. Avec la célébrité dont se parait peu à peu le Motisma, lui, petit Zarbi banal, passait toujours pour un moins que rien. Pour un chanceux qui avait la chance, que dis-je, l'imposture de se tenir à ses côtés.
Oliver avait détesté cette position. Et toutes ces filles qui le hélaient dans la rue. Tous ces gars qui luttaient contre leur timidité et leurs complexes pour aller lui parler.
Certains l'avaient même dragué ; Oliver s'en souvenait bien. La plupart du temps, il était là. Et Ariel profitait de ces petits moments de gloire, sans se soucier de l'état dans lequel son copain était. Il jouait le jeu de ses admirateurs, et faisait comme s'il n'existait pas. Comme s'il n'était qu'une ombre insignifiante qui le suivait partout.
À cette époque, personne n'avait encore parlé de l'homosexualité de l'étoile montante du cinéma. Et Ariel ne voulait pas que ça se sache : "c'est pas bon pour la carrière", qu'il disait. Alors reste à ta place, surtout me touche pas quand on est dans la rue. Fais comme si t'étais un simple ami. Je veux pas que tu salisses mon image.
À bien y penser, Oliver aurait dû le quitter avant. Le quitter lorsqu'il avait commencé à le mettre de côté, à cacher leur couple. Ça ne pouvait pas bien marcher. Leur relation était déjà en train de pourrir… Mais il s'était accroché. Pourquoi ? Aujourd'hui, il se le demandait bien. Peut-être parce qu'il y avait toujours un espoir ? Rafistoler les morceaux déjà ébréchés. Les recoller ensemble, pour que le tout soit plus solide.
Bah, c'était une pensée naïve. Vraiment naïve.
Mais Oliver avait toujours été crédule. Surtout en matière d'amour.

Secouant la tête, le brun essaya tant bien que mal de se débarrasser de toutes ces terribles pensées : ce n'était plus le temps des remords. Ce n'était plus le moment de vivre dans le passé. Tout ça, tout ce qu'ils avaient fait ensemble, tout ce qu'Ariel avait pu lui dire… C'était révolu. Une bonne fois pour toute. Et ça, Oliver devait bien se le mettre dans le crâne. Il fallait que ça cesse ; qu'il guérisse, enfin. Qu'il passe à autre chose.
Mais la vue d'Ayden qui s'asseyait en face de lui ne l'aidait pas dans ce travail. Le revoir, c'était comme assister de nouveau à cette terrible soirée. C'était comme retourner un instant dans cette période de tension et de galère.
Pourtant, l'acteur semblait être de bonne humeur, comme à son habitude. Pas de quoi rendre triste tout un régiment ; bien au contraire.
Croisant les doigts, Oliver le détailla avec insistance : son optimisme naturel, et ce petit sourire qu'il affichait toujours le laissaient vraiment perplexe. Est-ce que tout cela… était vrai ? Ou est-ce qu'Ayden, habitué à jouer la comédie, n'était en fait qu'une coquille vide qui riait tout le temps, en toutes circonstances ? Une surface lisse sur laquelle glissait le monde extérieur, sans laisser de trace :

« Je prendrais un café pour moi, bien serré, avec un croissant cela ira. Tu prends quoi ? »

Le Zarbi sursauta un peu, s'exprimant brutalement de son analyse à deux poké. La voix grave d'Ayden était agréable à entendre ; comme une douce mélodie qui berçait son petit cœur endolori.
Il l'avait accueilli avec sa tête de Gruikui. Il avait été exécrable, il lui avait clairement dit qu'il n'était pas content de le voir. Mais Ayden était resté correct, guilleret. Alors même si ce n'était une façade, qu'au fond il n'en pensait certainement pas moi, l'acteur était adorable. Et ça, Oliver ne pouvait pas le nier.
Et ça, ça le touchait en plein cœur.
Un petit sourire, sans doute le premier vraiment sincère depuis qu'ils s'étaient retrouvés, se dessina sur son visage, étirant sensiblement ses lèvres pâles. Il passa une main dans sa tignasse brune et bouclée pour jeter ses mèches en arrière :

« Euuh… Je vais vous commander un chocolat chaud s'il-vous-plaît. Et un pain au chocolat, si vous avez. Merci. »

Le Zarbi laissa aller sa tête contre sa paume, regardant le serveur tourner poliment les talons ; un autre aurait sans doute demandé un autographe, mais lui, il se tenait à carreaux. Il faisait son travail avec respect et discrétion… Et ça, c'était vraiment appréciable.
Oliver jeta un petit coup d'œil à son sac à dos, affichant une petite moue pensive : bon, il n'avancerait pas sur ses versions aujourd'hui, c'était certain. Bah, tant pis. Sa mauvaise humeur se dissipait petit à petit ; il ne voulait pas mettre Ayden de côté, agir comme s'il l'embêtait vraiment. À vrai dire, il avait encore tous jours suivants pour travailler tranquillement. Alors pour une fois qu'une personne un tant soit peu sensée et saine lui adressait la parole, il n'allait pas vraiment cracher dessus.
Et puis… Au fond de lui naissait une petite touche d'espérance. Peut-être… Peut-être que le comédien pourrait lui donner des nouvelles d'Ariel…? Cette douce tentation fit monter le rose à ses joues. Il se sentait si faible. Il crevait d'envie de savoir comment il allait, ce qu'il faisait, même si ces informations lui briseraient sans doute le cœur.
C'était vraiment plus fort que lui.

Ayden ôta enfin ses lunettes de Soleil, dévoilant un beau regard ambré qui lui décroche un frisson. Sa beauté sauvage, virile, ne le laissait clairement pas indifférent. Mais Oliver savait se raisonner : il savait bien que l'Aligatueur n'était pas de ce bord. Inutile donc de tenter quelque chose. Et puis quand bien même : il n'était pas un animal.
Une fois son gros manteau dégoulinant de pluie posé sur le dossier de sa chaise, le comédien reprit la parole, sans doute pour empêcher le silence de définitivement s'installer entre eux :

« J'espère ne pas avoir perturbé ta journée, je peux très bien rester seul à table pour attendre que ça se calme dehors. Alors qu'est-ce que tu deviens ? Je ne t'ai pas revu depuis.. cette soirée il me semble. Les choses ont changés pour toi ? Je me disait que tu te souviendrait même pas de moi à dire vrai !  Toujours à faire des recherches sur tes origines ? Ce doit être un mythe fascinant pour toi à étudier. »

Oliver le laissa parler tout son soûl, un petit sourire amer prenant place sur ses lèvres, une lueur amusée venait faire briller ses yeux sombres. Il était… Sérieux ? Le Zarbi laissa échapper un petit ricanement : comment aurait-il fait pour ne pas se souvenir de lui ? C'était une bonne blague vraiment. Et le brun sentait qu'Aden fuyait l'inévitable.
S'il avait rapidement mentionné la soirée, il avait très vite changé de sujet, feignant une curiosité polie que l'hybride trouvait franchement de très mauvais goût.
Oliver le dévisagea d'un air désabusé, soupirant bruyamment avant de se laisser retomber sur son dossier et de se balancer doucement sur sa chaise, les bras ballants :

« C'est plutôt moi qui ait été franchement étonné que tu te souviennes de moi. Je brille pas beaucoup, tu comprends : je ne suis qu'un citoyen lambda. Même s'il est vrai qu'on ne voit pas souvent une star avec un type aussi banal que moi. Aussi inintéressant. C'est peut-être ça qui t'a permis de me remettre…? Oliver afficha un sourire amer, avant de tousser un peu, détourant le regard pour observer l'arrivée du serveur avec café, chocolat chaud et viennoiseries. Il se mordit la lèvre, réalisant la brutalité de ses paroles. Excuse-moi. C'était un peu gratuit… Hrrm hrrm… Je… Je vais bien. En fait, j'essaye d'avancer, de tirer un trait sur tout ce qui a pu se passer en m'aidant justement de mes recherches pour me changer les idées. C-C'est pas vraiment simple. C'est même très compliqué. J'ai… Un peu de mal à oublier. À accepter les évènements. Un petit rire sombre secoua ses épaules. Mais j'imagine qu'Ariel, lui, s'en est plutôt bien remis…?

Il secoua la tête de droite à gauche, baissant la tête et demeurant un petit moment silencieux.
Pourquoi l'avait-il lancé sur ce sujet ? Ça lui ferait mal, il le savait. Et c'était pas une bonne chose.
Surtout que… Surtout que visiblement Ayden avait aussi rencontré quelqu'un, et que les choses semblaient également difficiles. En voyant sa situation, le comédien devait sans doute s'inquiéter, se demander si sa relation, elle aussi, terminerait comme ça. Et ce n'était sincèrement pas quelque chose qu'Oliver souhaitait. Il espérait qu'Aden pourrait préserver sa compagne de la lumière envahissante des projecteurs… Surtout que l'Aligatueur semblait bien différent d'Ariel. Bien plus sain, bien plus honnête et sympathique. Un mec normal dans un carcan de paillettes, au fond :

« Et toi…? T'es en train de connaître ce dans quoi on avait aussi mis les pieds, tous les deux, n'est-ce pas ? J'ai entendu les journalistes, tout à l'heure. Tu as une copine ? Une fille normale, aussi ? Tu sais… Il faut vraiment que tu la préserves. Que tu empêches le monde de s'incruster dans votre relation. Et en même temps… Ne fais pas comme si votre couple n'existait pas. Ce n'est pas une bonne chose. »