Un courrier suspect ~ [Feat. Samaede ]

Les oreilles au vent, le soleil sur la peau, Samaede filait sur la piste cyclable en direction de Poivresel. Quelques fois, c’était agréable de pouvoir sortir de sa routine quotidienne, changer un peu d’itinéraire, juste faire quelque chose de différent. Et aujourd’hui, c’était l’un de ces jours. Pas forcément par choix, évidemment, si ce jour-là la mangriff s’éloignait autant de son circuit de tournée habituel c’était bien qu’il y avait un problème... Plusieurs collègues étaient tombés malades cette semaine, les livraisons s’en retrouvaient fortement perturbées, et d’après la patronne, ils avaient les mêmes soucis au centre de tri à Poivresel. A cause de ça, elle se retrouvait à assurer la distribution des colis d’une partie de ce secteur, mais il fallait aussi qu’elle vienne récupérer quelques paquets importants arrivés ce matin-même. En bref, la pagaille.

Mais pour tout dire, cela ne la dérangeait pas tant, c’était même rafraichissant, autant que le vent qui lui fouettait le visage et le frisson de la vitesse alors qu’elle dévalait l’asphalte comme une étoile filante. Arrivée aux portes de la ville, elle se dirigea vers le centre pour récupérer les colis et charger sa bicyclette. Un agent lui fit signe à son arrivée et la guida jusqu’à l’entrepôt.

« Merci de nous filer un coup de main, on s’en sort plus ici.
- Pas de soucis, on se serre les coudes, Samaede sourit pendant qu’il s’éloignait pour prendre le sac.
- ... Tiens, ils ont oublié celui-là. Hm, c’est sur ta route ça ? Il tendit un petit carton qui semblait ordinaire, étiqueté d’une adresse sur la route qui remontait vers Lavandia.
- On dirait oui.
- On a plein de colis qui se perdent en c’moment, c’est l’enfer... soupira-t-il en se frottant la nuque, mais garde ça pour toi, hein. »

Elle acquiesça de la tête et chargea la pile de paquets qu’il lui tendait. Entre sa sacoche et l’arrière de sa monture, elle venait bien de se charger d’une dizaine de kilos supplémentaires ; et après un bref salut, elle reprit sa tournée vers sa prochaine destination. Il y avait plusieurs adresses au nord de la ville, puis dans la périphérie. Le temps de faire tout le tour, il était déjà presque treize heures... il lui fallait encore remonter vers Lavandia pour ses dernières livraisons, et au vu de l’itinéraire, elle devait passer sous la piste cyclable.
Cette route était un peu moins fréquentée, mais appréciée par les promeneurs malgré tout. Un vrai petit coin de verdure, bercé par le clapotis de l’eau et le parfum des fleurs. Ça donnait envie de se poser au soleil et de manger un morceau, la mangriff avait l’estomac dans les talons à force de pédaler. Une fois rentrée, elle pourrait se payer une baguette entière, fallait au moins ça. Mais alors qu’elle se voyait déjà de retour, un contretemps vint contrarier ses plans. Sa roue semblait molle soudainement...

« Manquait plus que ça... j’espère que ce n’est rien de grave. Samaede descendit pour regarder d’où venait le problème. Elle avait l’habitude de rouler en forêt, c’était assez rare qu’elle crève, mais elle avait toujours de quoi parer aux imprévus quand elle partait. Ce n’était qu’une grosse épine, une rustine, un coup de pompe et le tour serait joué. Voilà, prête à repartir. »

Mais alors qu’elle remontait sur son vélo, elle sentit quelque chose l’approcher par derrière. Trop rapide pour qu’elle puisse l’esquiver, elle n’eut que le temps de voir un coup de pied la désarçonner et l’envoyer à terre. Au même moment où elle heurtait le sol, l’ombre qui l’avait attaquée plongea sur elle pour l’immobiliser. Elle n’eut que le temps de se protéger avec son bras, tentant de maintenir à distance la lame qui voulait se plaquer contre sa gorge. Elle avait de bons réflexes, c’est peut-être ce qui la sauva sur le moment, du moins le pensait-elle. Mais Samaede n’avait jamais connu la guerre, la peur de la mort à chaque instant. Cette fille était plus entrainée qu’elle, trop rapide et silencieuse, elle ne l’avait pas vu venir.
La bicyclette s’était étalée dans la poussière dans un couinement métallique, mais les colis attachés à l’arrière restèrent bien en place malgré le choc. Pourquoi était-elle attaquée ? Malgré son sang-froid naturel, elle ne comprenait rien à ce qui était en train de se passer.

« Au nom de la team Avalon, je suis dans l’obligation de te demander de me remettre tout courriers et colis en ta possession. Coopère et tout ira bien.

Avalon, cette fille était avec eux ? Ça lui faisait un choc... qu’est-ce qu’ils pouvaient bien lui vouloir ? Elle n’était pas vraiment en position de négocier, malheureusement. De sa main libre, elle pointa la sacoche encore à son épaule.

- Toujours aussi diplomates chez Avalon... c’est mon travail de livrer les colis, je remplace quelqu’un aujourd’hui. Vérifiez si vous voulez, je ne suis pas censée ouvrir le courrier moi. »

Elle avait pourtant son uniforme de factrice sur elle, on vous en ficherait des colis suspects ! Comment pourrait-elle savoir ? Samaede n’avait jamais eu de différends avec Avalon, pas directement du moins, mais elle n’appréciait pas leurs méthodes et elle ne le cachait pas. Trop prompts à la suspicion, au jugement hâtif. On ne lui laissait pas trop le choix de la coopération cependant... alors elle s’en accommodait pour le moment. Mais à voir le visage de la brunette qui la chevauchait toujours, quelque chose n’allait pas. C’était ses oreilles qui lui faisaient cet effet ? La poussière était retombée, mais les doutes, eux, planent toujours.

Pas un mot ne fut ajouté sur sa déclaration. Le regard froid de l’envoyée d’Avalon toujours planté sur elle, Samaede restait d’une passivité stoïque, presque résignée ; il fallait qu’elle sache. Résister n’était pas dans son intérêt, au contraire, elle voulait comprendre ce qui lui était reproché. Est-ce que c’était lié aux problèmes de livraison ce matin ? Si elle n’avait pas fait ce remplacement, peut-être qu’une autre personne aurait été arrêtée à sa place. Ces changements de tournée n’apportaient pas que du bon, vu sous cet angle...
Après l’avoir dévisagée, la jeune femme relâcha la menace de sa lame pour fouiller la sacoche. Il n’y avait plus grand-chose à l’intérieur, que quelques lettres et colis rangés soigneusement, mais l’inspectrice trouva rapidement ce après quoi elle en avait. Un petit carton en apparence normal, qui n’avait rien pour attirer l’attention. D’un coup de couteau net et précis, l’emballage tomba au sol, dévoilant une autre boite qui contenait un objet, celui-ci, bien plus inhabituel... Samaede ne voyait pas bien d’où elle se trouvait, allongée dans la poussière. Mais le regard de la membre d’Avalon était sans équivoque. S’il y avait encore des doutes, ils furent balayés d’un coup de couteau en même temps que cette balle taboue qui retomba fêlée à ses côtés.

« Ça n’a beau être que ton métier, tu as beau faire du remplacement, as-tu seulement idée de ce que c’était ? Le regard froid, dur, et les mots faisaient mal. La mangriff comprit très vite la situation dans laquelle elle se trouvait, pas besoin de le lui expliquer. Accusée d’être une terroriste, pour un colis qu’elle n’aurait pas même dû livrer. Une situation dans laquelle elle n’aurait jamais imaginé se fourrer.
Etrangement, elle ne ressentait pas ce dégout envers Chronos, ni-même cette sphère censée représenter l’esclavage de son espèce. Peut-être bien qu’elle était détraquée, après tout. La seule chose qu’il y avait en elle, c’était cette fascination innocente, une curiosité d’enfant à l’égard d’un objet qu’elle voyait de ses yeux pour la première fois.

Mais tout aussi curieusement, cette fille qui la maintenait en sol ne semblait pas vouloir la considérer coupable. Ses mots se voulaient durs, aussi incisifs que sa lame, pourtant ils lui faisaient une proposition : aide-moi à t’en sortir, et je t’aiderai à trouver celui qui t’a piégé. Samaede n’aurait pu dire si elle était honnête, ou si elle était simplement très douée pour mentir. Mais cette proposition, c’était sa meilleure porte de sortie. Et elle voulait en être.
- Je suis innocente, je te le prouverai. Tu peux fouiller chez moi, mais je vis assez loin d’ici, à Vergazon... ça ira si on passe par mon travail à Lavandia ? Je dois finir mes livraisons. »

A ce sujet, quelque chose la fit tiquer. Cette route était la dernière à livrer avant de retourner à la poste, l’adresse ne devrait pas se situer loin. Suivant son intuition, elle récupéra le carton qui emballait le paquet suspect pour retrouver l’étiquette. Ça n’était pas loin d’ici, en effet... et si elle se référait à sa feuille de tournée... ? Quelque chose ne collait pas.

« Il n’apparait pas... c’est ce paquet perdu qu’on m’a donné au centre de tri ? »

Voilà qui ne l’aidait pas... c’était même d’autant plus suspect pour elle. L’air grave, elle replaça à feuille de tournée dans la sacoche et attendit la décision de sa gardienne. Avec Avalon, sa présomption d’innocence ne tenait qu’à un fil. Peut-être bien qu’elle avait de la chance d’être encore en vie... mais si elle devait y tomber, elle ne le ferait pas sans se battre. Son précieux katana serait comme toujours sa dernière défense.