Groupe Noa & Asuna

Lorsque Noa ouvre les yeux, il a la désagréable sensation que la brume de ses rêves ne s'est pas encore totalement dissipée. Le regard trouble, il regarde à droite, à gauche, sans comprendre où il se trouve. Sa main gauche se perd alors au niveau de sa gorge, dans un réflexe qu'il ne saurait expliquer. Et quand ses doigts rentrent en contact avec une cravate, son hoquet de surprise achève de le réveiller. Tandis qu'il s'évertue à se débarrasser de ce bout de tissu bordeaux, la désagréable sensation d'être observé fait descendre un frisson glacé dans son dos. Et lorsqu'il lève les yeux, il réalise qu'il est installé sur une chaise ma foi plutôt confortable, face à une scène vide. Désorienté, Noa ose un regard par dessus son épaule. Quelle idée ! Dans son dos, plusieurs dizaines de rangées de chaises s'étendent jusqu'au mur d'en face. Et chacune est occupée par des adolescents en uniforme gris et bordeaux. Aux cheveux noirs. Affublés d'oreilles noires cerclées de bleu turquoise. Une armée de Noctali chromatiques est donc tranquillement assit sur des chaises, face à une scène, dans un large gymnase. Et tous ont leurs pupilles bleues rivées sur lui, brillantes de milles-feux comme des étoiles sur un ciel sans nuage.

L'attention générale se dirige cependant sur la scène lorsqu'une demoiselle à la chevelure bleutée y apparaît. Elle a l'air troublé et pour cause ! - des murmures s'élèvent parmi les spectateurs qui la dévisagent sans délicatesse. Si Noa n'entend pas tout ce qu'ils se disent, il comprend cependant que ce ne sont pas des paroles gentilles. Il lui semble reconnaître les termes « bizarre », « étrange », « pas normal » - un véritable champ lexical. Et pourtant, aux yeux du Noctali, la demoiselle est la personne la plus normale dans ce gymnase. Mais l'assemblée ne cesse de la huer, de l'insulter. Certains se lèvent même de leur chaise et la pointe du doigt comme si elle représentait une hérésie. En prenant le temps de les observer plus précisément, Noa est forcé de constater que la plupart des garçons possèdent exactement la même coupe de cheveux que lui : légèrement plus longs qu'ils ne le devraient, les cheveux partent dans tout les sens en bonne crinière sauvage et rebelle. Et ce détail lui tord l'estomac : où est-il ? Pourquoi tout le monde lui ressemble ainsi ? Pourquoi cette place bien en évidence ? Où a-t-il donc atterrit, à la fin ?

Perturbé, il redirige cependant son attention vers la jeune fille au milieu de la scène. Cette dernière, toute aussi confuse que lui, semble remarquer son trouble car elle s'approche aussitôt. Noa se lève alors de sa chaise et, malgré l'inconfort de son pantalon en tartan bordeaux, grimpe sur la scène afin de rejoindre la jeune fille. Son action provoque une vague de murmures dans l'assemblée et les critiques repartent de plus belles. Mais elles ne le visent pas lui, étrangement – seulement la jeune fille. Avant qu'il ne la rejoigne, elle a agité les mains mais il n'a pas été en mesure de comprendre ce qu'elle lui disait. Maintenant qu'ils sont face à face, le dialogue sera plus facile – malgré le brouhaha provoqué par l'armée de Noctalis visiblement bien en colère. Un regard noir de la part de Noa semble pourtant étouffer toute leur hargne, ce qui le trouble davantage. Quel est le problème des gens, ici ?! Déjà, ils lui ressemblent trop, ça lui donne le tournis. Il a l'impression de voir son clone sur chaque chaises en contrebas. Et rien que ça, ça suffit pour le déstabiliser.

Et il y a cette fille. Visiblement incapable de parler, elle est la risée de l'assemblée qui, désormais silencieuse, continue cependant à la fixer d'un air mauvais. Comme si elle n'avait pas sa place parmi eux. Déglutissant, Noa se tourne vers elle, tout en grattant nerveusement sa nuque – le col de son tricot sans manche gris le démange affreusement.

▬ J'ai compris que tu ne pouvais pas causer mais tu saurais m'expliquer ce qu'il se passe ici ? Genre en écrivant ou quoi ? Il doit bien y avoir un feuille et un crayon dans le coin … Ces gars portent des uniformes scolaires, donc on est sûrement dans un bahut. Il doit bien y avoir un stylo quelque part.

Encore faudrait-il qu'ils acceptent de donner quoi que ce soit à cette fille … Sauf si Noa le leur demande, peut-être ? Néanmoins, l'idée de leur adresser la parole le terrifie plus qu'il ne veut l'avouer à lui-même ...

Déjà quand il était enfant, Noa ne supportait pas les bancs de l'école. S'il les a quitté tôt, ce n'est pas pour y retourner quelques années plus tard. L'adolescent ne comprend donc vraiment pas comment il a pu atterrir ici – et surtout, pourquoi il semble en être la mascotte. Tout ces regards tournés dans sa direction brillent d'admiration, comme si ces gamins faisaient face à un dieu vivant. Si certaines personnes se plairaient d'une telle condition, Noa lui en aurait presque la nausée. Il ne veut pas être adulé. Il ne veut pas être aimé. Il aspire simplement à une vie solitaire dans sa forêt, loin de toute forme de vie humaine ou hybride. Alors que fait-il ici ? Pourquoi lui ressemblent-ils ? Pourquoi l'adulent-ils ?! Si lui ne les connaît ni d'Eve ni d'Adam, eux semblent le connaître comme s'ils avaient élevé les Gruikui ensembles. Et toute cette haine envers cette fille … Noa n'est pas une personne compatissante de nature, il ne ressent donc rien de particulier face au traitement qu'elle subit mais il ne le comprend pas. A-t-elle fait quelque chose en particulier ? Est-elle mise de côté car elle n'est pas une Noctali ? Parce qu'elle n'est pas … comme tout le monde ?

Le cœur de Noa se serre brutalement dans sa poitrine. Lui sait mieux que personne ce que c'est d'être vu comme un paria. Dans la société, la différence est sujet à moquerie, à abandon. Il ne lui a pas fallu longtemps pour le comprendre lorsqu'il était enfant. Et dès que la laideur du monde lui a sauté au visage, il l'a fuit. Sûrement aurait-il vécu le plus simplement du monde comme n'importe quel autre enfant s'il n'avait pas voulu sauvegarder son individualité à tout prix. S'il a fuit sa famille, l'école, tout le monde, c'est pour ne pas qu'on le pousse dans le moule qui l'aurait façonné à l'image désirée par la société. Et ce qu'il a sous les yeux en ce moment, c'est exactement ce qu'il redoute le plus au monde : une foule de personnes qui a rejeté son individualisme pour ressembler à la personne qu'ils admirent tous, qui dénigre les personnes différentes en les traitant comme des moins que rien, comme des indésirables. Et l'espace d'un instant, il se voit à la place de cette fille et comprend tout ce qu'elle doit ressentir. L'incompréhension, le malaise, la peur, la tristesse. Tout ce qui l'a fait fuir alors qu'il n'était encore qu'un enfant.

▬ Noa-sama ! Ne perdez pas votre temps avec elle, c'est une sale étrangère, elle ne mérite pas votre compagnie. Retournez donc en cours, le professeur attend tout particulièrement votre venue !

Noa a à peine le temps d'aviser le fameux professeur un peu plus loin qu'une armée de ses … « clones » se ruent vers lui en agitant des stylos. S'il a l'embarra du choix, l'adolescent ne peut cependant pas se résoudre à en attraper un seul. Tout ces visages admiratifs le trouble et l'envie de prendre ses jambes à son cou pour s'enfuir le plus loin possible n'a jamais été aussi forte. Heureusement, la jeune fille semble avoir garder la tête sur les épaules car elle saisit le premier stylo à sa portée avant d'attraper la main de Noa, le tirant à sa suite loin de la foule. Désorienté, le Noctali se contente donc de courir à sa fuite, sortant du gymnase et parcourant un morceau de couloir avant de débouler dans une salle de classe vide. La demoiselle prend soin de fermer derrière elle et lui a le réflexe immédiat de bloquer toute entrée en plaçant un bureau devant la porte. S'ils ont besoin de fuir, ils passeront par la fenêtre – puisqu'ils sont au rez-de-chaussée, ils ne risquent pas grand chose en passant par là. Mais pour l'heure, ils ne sont que tout les deux et personne ne semble lancé à leur poursuite. C'est donc le moment idéal pour discuter – enfin, façon de parler puisque la demoiselle n'a plus de voix.

Encore légèrement troublé, Noa reste de longues secondes complètement pétrifié avant que les bruits provoqués par la recherche active de la jeune fille ne le réveille. Ne comprenant pas ce qu'elle fait, il l'observe quelques instants avant de comprendre. Ah, elle veut sûrement une feuille. Mais pourquoi s'enquiquiner avec ce matériel alors qu'un grand tableau noir ne demande qu'à être utilisé ? Ni une ni deux, Noa vient tapoter l'épaule de la jeune fille afin d'attirer son attention, avant de pointer le tableau du doigt. En s'en approchant, il avise une boîte toute neuve de craies blanches et n'a pas le moindre scrupule à détruire l'emballage pour en sortir une. Il laisse alors la craie glisser sur le tableau, grimaçant au crissement aigüe que celui provoque. Voilà un son qu'il aurait souhaité ne plus jamais entendre de sa vie. Pourtant, il n'a pas le choix : c'est sûrement l'unique moyen pour sa compagne de communiquer. Alors il lui tend le petit objet, se débarrassant de la poudre qu'il a laissé sur ses doigts en les frottant contre son pantalon d'uniforme. Ça se saurait si Noa était soigneux avec ses vêtements !

▬ Tu peux commencer par me donner ton prénom au moins ? Le mien tu dois le connaître vu le nombre fois qu'ils l'ont répétés, mais je le redis : j'm'appelle Noa. Alors, tu sais ce qu'il se passe ici ? On est où, au juste ?