Groupe Cerise & Nadelya

Nadelya se trouvait dans une fête foraine. Une fête foraine comme toutes les autres, avec ces fameuses attractions à sensations de différentes hauteurs, les grandes roues, les jeux de tirs ou les jeux de loterie, et même des manoirs hantés. En effet, la seule différence qui pouvait se faire à part les attractions étaient cette décoration lugubre. Des squelettes étaient accrochés aux stands ou des chauves-souris tournaient en rond grâce à un mécanisme. Même les gérants des stands s'étaient déguisés en vampires ou autres créatures fantastiques bien plus effrayantes. Comment la rouquine s'était trouvée là ?
Aucune idée. Après une journée plutôt calme, elle s'était retrouvée ici. Elle ne se posa pas plus de questions.

Elle avança regardant autour d'elle. Plusieurs fois, elle fut tentée de faire un tour de manège. Mais, elle continua son chemin dans les sombres rues illuminées.

Tandis qu'elle continuait de marcher, dos à elle, des voix fortes se firent entendre. Deux personnes se disputaient. Leurs paroles étaient fortes et violentes, c'était celle d'un jeune couple. Nadelya ne fit pas attention et avança. Jusqu'à ce que la voix la plus aiguë se détacha de celle des autres. La femme non ravie, attaqua son homme avec des paroles acerbes. Sa colère étant bien plus grande, elle jeta avec rage sa pomme d'amour qu'elle tenait dans sa main.
Malheureusement, elle rata sa cible.

Nadelya sentit tout un coup une forte douleur derrière son crâne. Le choc était tant, qu'elle exprima sa douleur par un "aie". Elle s'arrêta et se retourna. À ses pieds, une pomme d'amour rouge, couleur fascinante et ambiguë à la fois. Elle aperçut le couple toujours entrain de s'engueuler. Elle se rapprocha de quelques pas d'eux, en colère à son tour.

─ Ça ne va pas non ?! Jeter ce genre de choses avec violence, cela fait très mal et c'est dangereux !!!

Aucun des deux ne lui répondit, même pas un regard. Elle pesta dans son coin. Cela les importe peu de blesser des innocents ?! Pensa-t-elle. Elle ne reçut aucune excuse, pas un seul pardon. Mais ce qui l'énerva le plus était qu'elle n'avait reçu aucun regard. Elle se contenta de regarder autour d'elle, peut-être que d'autres personnes avaient vu cet acte.
Personne ne semble se soucier d'elle.
Comme si elle n'existait pas.

Cette sombre pensée la fit frissonner. Elle soupira. La jeune femme passa sa main derrière sa tête, là où elle avait reçu une pomme d'amour quelques minutes plus tôt. Elle grimaça lorsqu'elle sentit le caramel rouge et collant.

─ Oh non...

Ses mains étaient à son tour toute collante, accompagnées d'une forte odeur de sucre. Il n'y avait pas de graves conséquences ; juste une bosse qui commença à se former à l'arriéré de son crâne.
Plus tard, elle saura que ce n'était pas le cas.

La rouquine reprit sa ballade nocturne.

Elle avait beau être une femme de tête Cerise, des fois, quand ses tripes lui dictaient que quelque chose n’allait pas, elle ne pouvait jamais se résoudre à ignorer l’intuition au profit de la raison. C’était là, quelque part dans un recoin de son cerveau, et ça lui hurlait qu’un truc clochait, elle ne savait pas quoi, mais ça suffisait à accélérer les pulsations de son coeur qui lui battait le sang avec force dans les tempes. C’est quoi le soucis putain ?
Car ce n’étaient certainement pas les décorations « glauques » de l’endroit qui la mettaient mal à l’aise –depuis quand les squelettes et autres artifices en plastiques vendus à l‘occasion d’Halloween pouvaient mettre une hybride spectre comme elle mal à l’aise ? Même Mika adorait l’ambiance de la fête foraine et avait commencé à s’extasier sur chaque élément de décoration, et voulait tout voir, tout toucher, tout essayer –au grand damn de sa soeur qui s’efforçait de garder un oeil sur lui malgré la foule.

C’était peut-être le fait qu’elle ne parvenait plus tout à fait à se rappeler de comment ils étaient arrivés ici qui la dérangeait. C’était comme si elle avait été perdue dans ses pensées pendant un long moment, mais que son corps avait continué à avancer jusqu’à la conduire dans cette fête foraine que certains pourraient qualifier de sordide, il est vrai.
Elle était loin d’avoir peur Cerise. Mais elle n’était pas sereine.

▬  Mika fais attention, attends moi ! criait-elle souvent à l’intention du petit garçon aux joues rougies par l’excitation qui ne tenaient plus en place.

Rien à faire, aujourd’hui, il ne l’écoutait pas. Elle soupira donc et accéléra le pas pour le rejoindre et lui faire le bon vieux coup de la menace « si tu continues on s’en va » qui marchait toujours assez bien sur lui, mais à peine avait-elle fait quelques mètres que des éclats de voix énervés perturbèrent son attention. Un peu plus loin, un couple se disputait ; elle n’entendait pas clairement ce qu’ils se disaient mais avait suffisamment d’expérience en matière de disputes conjugales pour se douter que ce n’étaient certainement pas des mots doux. Et puis ce qui devait arriver arriva, et la jeune femme visiblement hors d’elle lança de toutes ses forces sa pomme d’amour –elle visait probablement son compagnon mais avait raté son coup, et si Cerise ne s’était pas reculée au bon moment ce serait-elle qui aurait reçu la friandise dans la tête. On cria « Aie ! » dans son dos et rapidement, elle tourna la tête derrière pour constater qu’une jeune femme aux cheveux roux avait finalement reçu le projectile à sa place –elle ne s’en désola qu’à moitié, c’était pas comme si elle l’avait lancée elle-même non plus ; elle avait d’autres chats à fouetter pour l’instant. Finalement, elle se désintéressa de ces futilités qui lui faisaient perdre son temps et balaya la foule du regard à la recherche d’une petite tête blonde pas plus haute que trois pommes.

Et son coeur loupa plusieurs battement à la suite quand elle constata que Mika avait disparu de sa vue.

Elle n’avait regardé à côté qu’une poignée de secondes à peine, mais cela avait suffit à l’enfant pour se soustraire à sa surveillance et s’éloigner, là où elle ne pouvait plus le voir. Et parce que ça touchait l’être le plus cher à son coeur, Cerise ne put empêcher son imagination de se figurer plusieurs scénarios tous plus affreux les uns que les autres. Et si il se perdait ? S’il se blessait ? S’il lui arrivait quelque chose ? Si on lui faisait du mal ?
Affolée, elle jeta des regards frénétiques de part et d’autres, bousculant sans trop de ménagement la foule qui lui gênait le passage ; et c’était étrange, car personne ne lui faisait de remarque, ne semblait même la sentir, comme s’il elle eusse été invisible. Ils ne lui répondaient même pas lorsqu’elle demandait s’ils n’avaient pas vu le petit garçon, et ça lui donnait presque la nausée. Elle tournait, se retournait, regardait trois fois au même endroit pour être sûre de ne rien avoir manqué, tentait de l’appeler mais sa voix se perdait dans le brouhaha ambiant tandis que son coeur cognait de plus en plus fort dans sa poitrine et que le bout de ses doigts se mettaient à trembler si bien qu’elle devait les agiter nerveusement pour dissimuler les tremblements.
Quand ça concernait Mika, elle ne se pardonnait rien. Et s’il devait lui arriver quoique ce soit, elle ne s’en remettrait probablement pas. Perdre un frère lui avait déjà suffit, et elle vendrait son âme au diable pour ne pas avoir à revivre l’expérience une nouvelle fois.

Soudain elle percuta accidentellement quelqu’un un peu plus fort, si bien qu’elle dû reculer de quelques pas. Son regard croisa alors celui de la jeune femme rousse de tout à l’heure, et il lui suffit d’un échange de regard pour comprendre qu’elle n’était pas comme les autres, qu’elle était bien là, ancrée avec elle dans cette réalité suffocante qui commençait sérieusement à lui faire froid dans le dos.

▬ Excusez-moi, je ne vous ai pas fait mal ? fit-elle d’une voix mal assurée que l’angoisse rendait presque tremblante –au fond, elle s’en foutait de l’avoir blessée ou non, elle voulait retrouver Mika et partir d’ici au plus vite. Dites vous n’auriez pas vu un enfant ? Un petit garçon aux cheveux blonds, grand comme ça –elle mit la main au niveau de la moitié de sa cuisse pour illustrer son propos.

Dis oui putain, pitié.

Plus elle avança et plus elle remarqua que personne lui prêtait attention.
Plus ce lieu l’effraya.
Nadelya secoua la tête. Refoulant ces idées. Après tout, pourquoi devrait-elle s’inquiéter ? Ce n'est qu'un parc d'attractions comme les autres. Et ce n'était pas comme si cela la dérangeait de ne pas être dévisagé. Pourtant, elle ne pu s’empêcher de garder cela dans un coin de sa tête.
Elle ne le saura que tardivement.

Sa balade nocturne l'emmena dans un lieu où les épices et autres substances aromatiques, produisant une sensation agréable et révélant une qualité que l'on ne pouvait débattre. Son regard dont son odorat avait tracé le chemin, s’arrêta sur le stand en question. Une grande toile faisait office de toit, il y avait un bar et des vitrines avec des aliments chauds et froids exposés. Il y avait de nombreuses tables et chaises, occupées en grande partie. Ce stand était dans un coin qui leur permettait d'avoir une petite cuisine improvisée, mais l'espace et la taille du stand n'étaient pas assez grands pour le qualifier de restaurant. La jeune femme céda et fit la queue.

Un moment s'écoula lorsque quelqu'un lui rentra brusquement dedans. Elle hoqueta de surprise.
Décidément, ce n'était pas son jour.

Le regard vert émeraude croisa celui du noir d'ébène. Elle continua de la regarder, elle devait faire son âge à peu près. Le plus étrange était que Nadelya semblait l'avoir déjà aperçu. Mais le plus surprenant était que c'était la seule à vraiment la regarder depuis le début, et non un corps "possédé" dans un parc à l'allure fantomatique.

─ Excusez-moi, je ne vous ai pas fait mal ?

─ N-Non, ça va, tout va bien.

Nadelya n'avait pas eut mal.

─ Dites vous n’auriez pas vu un enfant ? Un petit garçon aux cheveux blonds, grand comme ça.

La jeune femme lui montra la taille approximative du petit garçon. La rouquine n'avait pas fait attention, mais son interlocutrice semblait terriblement angoisser, si bien que ses mains tremblaient. Malheureusement, Nadelya ne l'avait pas vu.

─ Je suis désolée, mais je ne l'ai pas vu...

Elle continua de réfléchir, essayant de se rappeler du contraire. Elle se gratta la tête, oubliant qu'elle avait encore du caramel presque sec dans les cheveux. La queue diminua jusqu'à ce que ce soit à son tour de commander. Après réflexion, elle releva la tête vers la jeune femme.

─ Je peux vous aider à chercher si vous voulez ?

La jeune femme avait l'air de paniquer et les personnes autour d'elle ne semblaient pas l'aider.

L’angoisse ; elle se faisait progressivement son nid dans chaque parcelle de son être alors que les secondes s’égrenaient et que Mika ne réapparaissait pas. Elle n’arrivait pas à maintenir son regard  fixé sur la même chose plus de trois secondes, et jetait des coups d’oeil soucieux partout autour d’elle, comme si l’enfant pouvait surgir de n’importe où à n’importe quel moment et qu’elle devait être le plus alerte possible pour le repérer avant qu’il ne s’évapore à nouveau. Même soutenir le regard de la jeune femme en face d’elle plus d’un instant était tâche ardue –impossible.
Ce fut seulement sa voix qui la ramena un peu sur terre et poussa Cerise à cesser ses regard affolés.

▬ Je suis désolée, mais je ne l'ai pas vu…

▬ Oh…

Pendant une seconde, c’est l’ombre désespoir qui passa obscurcir plus encore les iris d’obsidiennes de la Feuforêve, et de dépit ses épaules s’affaissèrent un peu. Peut-être qu’elle en faisait trop, qu’elle exagérait, à s’inquiéter autant alors que cela ne faisait que quelques minutes à peine que Mika s’était volatilisé. Mais il était tout ce qu’il lui restait, Mika. Et elle en était responsable quoiqu’il arrive. Alors peut-être que c’était normal au fond, de paniquer ainsi quand l’être le plus cher à votre coeur, celui pour qui on sacrifierait tout et ne risquerait rien, s’évaporait dans l’air au milieu d’une foule qui tenait plus de mannequins sans vie que d’êtres de chair et de sang. Et ça aussi, ça l’inquiétait, de plus en plus, et ce malgré la présence pourtant réconfortante et bien réelle de la jeune femme à qui elle s’adressait.

▬ Je peux vous aider à chercher si vous voulez ?

Et ce fut comme un choc électrique qui la parcourut à l’écoute de ces quelques mots, cette simple phrase qui suffit pourtant à lui remettre les idées en place ; elle était Cerise merde, et Cerise ne se laissait pas emporter par la panique en quelques secondes ; elle agissait avec calme et sang-froid Cerise, c’était comme ça qu’on la connaissait. Elle leva un regard presque suppliant –et reconnaissant tout du moins– vers la jeune femme et ne pris même pas le temps de bafouiller un refus de politesse ; le genre qu’on ne pense pas vraiment mais qu’on dit quand même de peur de trop déranger celui qui propose son aide –c’était stupide de faire ça, et elle n’avait pas le temps d’être stupide quand ça concernait son petit frère.

▬ Oui, elle souffla du bout des lèvres, s’il vous plait, oui, je…

Elle ferma les yeux, se pinça l’arrête du nez et inspira un grand coup en se redressant pour calmer les palpitations de son coeur qui en faisait des siennes.

▬ J’ai tourné la tête quelques secondes à peine et il a disparu d’un seul coup. J’ai regardé partout, mais rien à faire…À croire qu’en vingt secondes à peine il a eu le temps de filer jusqu’à l’autre bout du parc…–et avec les jambes d’un enfant de trois ans, c’était un record tout bonnement impossible.

Cerise croisa les bras sur sa poitrine et jeta de nouveau regard autour d’elle, cette fois plus méfiants qu’inquiets. La mauvaise intuition qu’elle avait ressenti plus tôt commençait à la prendre méchamment à la gorge. Elle ne comprenait pas ce qu’il se passait, où elle était, avec qui –et elle détestait ça, ne pas comprendre.

▬ Est-ce que…vous savez où on est ? J’ai l’impression d’avoir fait un black-out, je sais pas comment j’ai atterrit ici et…j’ai l’impression d’être invisible, ou entourée de fantômes, j’sais pas. Vous êtes la seule personne à avoir réagit quand je vous ai bousculée.

C’était un véritable comble pour une hybride spectre que de se sentir ainsi mal à l’aise face à des « fantômes ».

▬ Oh, je m’appelle Cerise au fait, fit-elle en lui tendant la main par politesse. Enchantée, elle ajouta avec une ébauche de sourire qui se mua en un pli ironiquement amer tant la situation n'était pas propice à de formelles présentations.

▬ Grande soeur regarde ! Hey oh !

Cela faisait déjà bien plus de quelques minutes que Cerise et la jeune femme rousse avaient entamé les recherches que la voix fluette de Mika s’était élevée par-dessus la foule, jusqu’aux oreilles de la Feuforêve ; et comme une mère sait toujours reconnaître le cri de son petit dans le règne animal, elle avait immédiatement réagit. Elle tourna la tête si rapidement vers la grande roue qu’elle manqua de se déplacer une vertèbre et leva les yeux en fouillant l’attraction de fer d’un regard affolé ; et miracle, la petite bouille ronde et joyeuse de l’enfant lui apparut bien vite, installé dans une des nacelles de l’attraction.
Un instant, ce fut le soulagement qui détendit imperceptiblement les épaules.
Un instant seulement.

Puis elle le vit s’agiter, et elle se rappela qu’il était bien trop petit pour faire ce genre d’attraction seul ; mais elle n’eut même pas le temps d’ouvrir la bouche pour lui crier de rester tranquille jusqu’à ce qu’elle ne le rejoigne que sa voix s’étrangla dans sa gorge et son coeur fit le saut de l’ange dans sa poitrine, et elle aurait pu jurer qu’elle l’avait senti atterrir dans son estomac. Elle hurla son nom, et se précipita vers l’endroit de sa chute, bousculant la foule et oubliant complètement la jeune femme à ses côtés. Il est tombé, il est tombé. Non, non, non, non, non, non, non, non, non, NON !
Rapidement elle arriva suffisamment près pour l’apercevoir –et par tous les dieux, voir l’enfant étendu inerte au sol, la tête ensanglantée, ça faisait remonter d’un seul coup bien trop de souvenirs, de cauchemars et d’angoisses pour qu’elle ne se sente pas subitement nauséeuse et fébrile ; mais elle ne pouvait pas s’accorder le luxe d’être faible tant qu’il n’était pas hors de danger, elle ne se le pardonnerait jamais autrement. Mais quelque chose lui fit obstacle, et elle rentra dedans si fort que son épaule droite en garderait probablement un beau bleu.

▬ Putain, c’est quoi ce truc ? Elle s’emporta, la voix tremblante de peur et de colère.

C’était comme un mur, une paroi solide qui résistait aux coups qu’elle donnait dedans –qui résista même à une attaque ball-ombre– mais qu’elle ne pouvait voir. Bordel, mais c’est quoi ce merdier ?

▬ MIKA ! Elle continua de crier en martelant le mur invisible du poing tandis que la rouquine de tout à l’heure arriva derrière elle.

▬ Qu'est-ce que c'est ?!

▬ Tu crois que j’le sais, putain ? Mika ! Laissez-moi passer, merde !

Elle ne pouvait pas voir son autre frère mourir sous ses yeux.
Si ce ne n’est pas la tristesse, c’est la culpabilité qui aura sa peau et son esprit autrement.
Sa gorge la brûlait, elle se sentait impuissante, continuait de frapper de toute ses forces en vain alors que les larmes menaçaient de couler.
Et puis il y eut cette voix, qui lui hérissa le poil et lui colla des sueurs froides dans le dos.
Elle leva le regard, une seconde, pour détailler la silhouette sombre qui venait d’apparaître sous leurs yeux.

▬ Mes chères demoiselles ! Les attractions foraines vous plaisent-t-elle ? Parfait parfait. Je vais donc vous proposer le jeu du jour. Qui n’est nullement facultatif. Vous voyez ces objets ? –alors qu’il parlait, il agita les bras et trois objets d’apparence ordinaire se matérialisèrent devant elles– Ils sont… très spéciaux. Mais vous n’en saurez pas plus. Pas tant que vous n’en aurez pas choisi un en tout cas. Un seul pour vous deux bien entendu, je vous laisse choisir qui le prendra. Mais tant que vous n’en aurez pas pris un, vous ne pourrez pas approcher ce charmant bambin. Ce serait bête qu’il se vide de son sang, non ?

▬ C’est une blague ? manqua-t-elle de s’emporter. Laisse-moi passer sale fils de p— elle du se mordre la langue pour ne pas prononcer les mots de trop et risquer plus d’ennuis que ça ; ne sachant pas à qui elle avait affaire, elle préférait éviter de l’énerver, on ne savait jamais.

Mais bon sang, si c’était lui qui avait causé l’accident…
Et si c’était lui qui les avait piégé aussi ?

▬ Personnellement je prendrai le coussin... Qu'en penses-tu ?

J’m’en fous, je veux récupérer mon frère, merde.

▬ Peu importe, il va se débrouiller pour essayer de nous entuber de toute façon, elle lâcha, venimeuse –ça se sentait, qu’il ne leur voulait pas de bien, ça s’entendait qu’il jubilait de les voir ainsi perdues et affolées ; putain d’enfoiré.

Et sur ces mots, elle attrapa le coussin sous ses yeux d’un geste rageur et lança un regard furieux en direction de la silhouette sombre. Elle n’avait pas le temps de réfléchir six cents ans de toute façon, la moindre seconde était précieuse.

▬ Laisse-nous passer maintenant, elle gronda en ne prenant nullement la peine de dissimuler sa rage.

Elle essayait, ô par Arceus, elle essayait de se contenir, de se maîtriser –de garder son calme.
Mais elle tremblait de plus en plus alors que les secondes s’égrenaient.

« Vous laisser passer ? Mais c'est déjà le cas, qu'est-ce qui vous retiendrait d'avancer ? »

Elle avait entendu chaque mot, mais c’était devenu plus lointain, comme si elle avait la tête sous l’eau. D’un seul coup, elle se sentait comme autre part, différente, dans une espèce de bulle qui atténuait les sons et les images autour d’elle –dieu qu’elle avait envie de dormir subitement.
Dormir ?
Pourquoi ?
Comment ?
Alors que Mika est toujours à terre et inconscient !
Mais elle était si fatiguée de tout ça.
Peut-être qu’en dormant un peu elle se réveillerait et réaliserait qu’il ne s’agissait que d’un cauchemar, angoissant certes, mais pas réel.
Oui, peut-être que si elle se laissait aller, tout irait mieux.

Cerise avait à peine remarqué que la jeune femme –elle ne lui avait toujours pas donné son nom, réalisa-t-elle alors– s’était précipitée auprès du petit garçon. Tout son corps lui semblait peser une tonne, le moindre mouvement était fatigant, et, comble pour la Feuforêve, c’était comme si toute forme de motivation, la flamme de ses ardeurs s’était éteinte. Amorphe.
Dormir.
Son regard hagard se posa alors sur la silhouette rousse face à elle, plus loin, agenouillée aux côtés d’un petit corps aux cheveux blonds souillés de sang, et brièvement elle eut comme un déclic. Putain Cerise, tu dormiras pas avant qu’ils soit sain, sauf et en sécurité loin de ce trou. Alors avec difficulté, elle avança, la main toujours crispée sur le tissu de l’oreiller qu’elle ne lâchait pas –comme greffé à ses doigts.
Quel genre de soeur tu es pour penser à ça dans un moment pareil, bordel ?

Quelques instants plus tard, elle s’agenouillait à leurs côtés. Mika n’était toujours pas soigné, et la jeune femme semblait complètement affolée. En baissant les yeux sur son sac, Cerise remarqua le nécessaire de premiers soins. Son regard fit l’aller retour entre le sac et l’air paniqué de la demoiselle face à elle, et on aurait dit qu’elle ne savait plus comment s’en servir.
Un peu comme elle-même semblait avoir oublié comment se servir de sa motivation.

▬ Faut lui bander la tête, elle se força à parler mais sa voix était rauque et éraillé, comme si l’effort lui avait coûté plus de force que jamais. Compresses, bandage bien serré pour arrêter l’hémorragie. Points de sutures si la plaie est trop grande.

Elle avait peut-être abandonné ses études de médecines, mais elle se rappelait toujours de comment donner les premiers secours –ses activités à Avalon lui avaient permis de pratiquer à plusieurs reprises.
De nouveau, son regard se posa sur Mika, et subitement elle senti sa gorge se serrer ses yeux lui piquer.
Pardon.
J’arrive pas à te protéger quand il faut.
Pardon, pardon, pardon.

▬ Sauve le, s’il te plaît…

Elle avait la voix tremblante, le regard humide et les mains crispées.
Et pourtant, la somnolence déjà revenait.